Pourquoi la mer nous fait penser au soleil

Réf. blog : PI2 - Date de mise à jour : 18-02-2020

A l'origine, les neurones ont acquis un premier moyen d'apprendre : la répétition. Avec l'évolution, apparut un second moyen d'apprentissage : l' « apprentissage associatif ».

Apprendre en multipliant ses relations

Lorsque des réseaux de neurones sont activés simultanément, ils cherchent à créer ou renforcer des relations entre eux.


Le second moyen que l'évolution inventa pour « apprendre », fut de permettre, de manière aisée, le renforcement des connexions entre des neurones activés simultanément, ou à des instants très proches.
On peut comparer cela à une personne qui cherche à se faire des amis en se créant de multiples relations, plus ou moins fortes.
Ce renforcement des connexions est toujours de durée limitée : dès que les connexions ne sont plus activées, il y a « désapprentissage », c'est-à-dire que les connexions s'affaiblissent rapidement.
Enfin, ces multiples relations ont entraîné un regroupement des neurones par réseaux.
On distingue généralement les réseaux de « perception » correspondants au codage d'une perception, et les réseaux de « mouvement » correspondants au codage d'un mouvement.

Cette propriété de renforcement est appelée « loi de Hebb », et a pu être vérifiée expérimentalement.

Ce type d'apprentissage est souvent désigné sous le nom de « loi de Hebb », du nom du psychologue Donald Olding Hebb (1904-1985) qui, le premier, émit l'existence d'un tel apprentissage.
Cette loi se définit donc de la manière suivante : des réseaux neuronaux existants qui sont activés simultanément, ou à des instants très proches, établissent ou renforcent des connexions entre eux.
La loi de Hebb a pu être vérifiée expérimentalement.
Elle est aujourd'hui à la base de la théorie des réseaux de neurones artificiels qui a permis à l'homme de créer des systèmes ou des robots dont l'intelligence se « rapproche » de la nôtre.

On dira qu'il y a apprentissage associatif si, lorsque des réseaux de neurones sont activés simultanément, ils cherchent à créer ou renforcer des connexions (ou « relations ») entre eux en privilégiant le nombre de connexions.

En pratique, on suppose que cet apprentissage fondamental de Hebb peut se décomposer en deux sortes d'apprentissages dérivés, suivant la facilité avec laquelle se créent les connexions et leur force : les apprentissages par association (ou « associatif ») et les apprentissages par comparaison (ou « comparatif »).
On parlera d'apprentissage essentiellement « associatif » lorsque les nouvelles connexions s'établissent « facilement » entre tous les réseaux activés simultanément.
Par exemple, grâce à cet apprentissage, dix réseaux activés simultanément créeront facilement des connexions entre eux, mais celles-ci pourront être faibles, peu solides, peu nombreuses.
On parlera d'apprentissage essentiellement « comparatif » lorsque des nouvelles connexions s'établissent « fortement » entre un nombre restreint (par exemple deux) de réseaux activés simultanément.
Par exemple, sur dix réseaux activés simultanément, seulement deux établiront entre eux des connexions, mais celles-ci seront fortes, solides, multiples.
Bien évidemment, en pratique, les neurones réalisent à la fois des apprentissages associatifs et comparatifs, mais l'un des deux est généralement prépondérant, suivant les situations et les personnes.

Les association d'idées


C'est l'apprentissage associatif qui nous permet d'associer un bateau et la mer.

Nous avons vu que l'apprentissage associatif  correspond à l'établissement de connexions entre la plupart des réseaux neuronaux existants qui sont activés simultanément.
Donc, si je perçois simultanément des informations telles que la vue d'un bateau, et la vue de la mer, les réseaux correspondant à ces deux perceptions seront associés.
Ainsi, plus tard, la vision d'un bateau, me fera penser à la mer.
L'apprentissage associatif se traduit donc pour nous, êtres humains, par des « associations d'idées ».
Il est à l'origine chez l'homme de ce qu'on appelle l'« intelligence synthétique » dans le langage courant.

Si le chien de Pavlov, en entendant une cloche, se met à saliver (on dit qu'il a appris un réflexe conditionné), c'est encore grâce à l'apprentissage associatif.

L'apprentissage associatif permet de dire, en particulier : si un animal a une perception initiale, puis que, simultanément ou immédiatement après, il a une seconde perception, qui active un mouvement, par exemple de fuite, alors plus tard, si la perception initiale se reproduit, elle pourra, elle aussi, déclencher le mouvement de fuite.
Le réflexe conditionné résulte donc de l'apprentissage associatif.
Donnons un exemple, le réflexe de Pavlov : on habitue un chien à entendre un son de cloche au moment où il voit son maître lui apporter son repas.
Par apprentissage associatif, le chien va associer le son de la cloche du repas à un déplacement vers sa gamelle.
Si plus tard, il entend le son de cloche seul, il courra immédiatement vers son assiette.
Ainsi, l'apprentissage associatif lui aura permis de profiter plus rapidement de la nourriture que lui apporte son maître.
Cette évolution apporte donc bien à l'animal une meilleure adaptation.
A l'origine, avant l'apparition de la mémoire à long terme, cette faculté d'apprentissage, basée sur la modification de la force des connexions synaptiques, était très brève, de l'ordre de quelques minutes.
Il s'agissait donc encore d'une mémoire à court terme.

Les aptitudes d'apprentissage par association existent depuis très longtemps : on les retrouve chez les tous premiers animaux.

Le phénomène d'apprentissage associatif se retrouve à des stades très primaires de l'évolution : on retrouve le réflexe conditionné chez les vers, comme par exemple les vers planaires, que l'on peut conditionner avec des chocs électriques.
Les poissons également peuvent être conditionnés.
Ainsi, des carpes attrapées au moyen de leurre, deviennent, si on les relâche, nettement plus méfiantes lorsqu'elles perçoivent à nouveau des leurres visuels ou sonores.
Les propriétés décrites ci-dessus pour le système d'apprentissage associatif, ont eu pour conséquence de créer des phénomènes que l'on voit partout dans le monde animal : le réflexe conditionné, comme le réflexe de Pavlov que nous avons décrit, qui permet de déclencher un mouvement suite à une perception, mais aussi la sensibilisation, qui permet de « sensibiliser » un animal à une perception, et l'habituation, qui permet d'« habituer » l'animal à une perception.

Comment dresser une limace

Concernant la sensibilisation et l'habituation, de nombreuses expériences ont été faites par Eric R. Kandel, prix Nobel de médecine 2000, sur un mollusque, l'aplysie, qui est une sorte de limace de mer.
L'aplysie possède un système nerveux très simple, constitué de grandes cellules nerveuses, qui font jusqu'à 1 millimètre de diamètre.
Cet animal possède deux types de neurones de perception : des neurones de perception qui sont activés lorsque l'on recourbe les cils de l'animal, et des neurones de perception qui sont activés lorsque l'on appuie sur la tête de l'animal.
Ces deux types de neurones de perception, lorsqu'ils sont excités, envoient un potentiel d'action à un neurone moteur unique dont la fonction est de commander le muscle qui active le retrait des branchies.

E. Kandel réussit à faire apprendre des réflexes conditionnés à une limace.

Si l'on recourbe légèrement les cils, on observe un retrait partiel des branchies.
Par contre, la pression sur la tête, signe d'un plus grand danger, entraîne un retrait total.
En effet, de manière innée, la connexion entre les neurones de pression de la tête et les neurones moteurs est plus forte.
Si maintenant, on répète plusieurs fois de suite ces deux expériences, courbure des cils et pression sur la tête, on finit par arriver à un moment où, lorsqu'on se contente seulement de recourber les cils, on observe un retrait total : on peut donc en conclure qu'il y a eu renforcement de la connexion entre le neurone de la courbure de cil et le neurone moteur, en raison de la simultanéité avec la pression sur la tête.
On voit qu'ici on a créé un « réflexe conditionné ».
Enfin, si l'aplysie ne subit plus de pression sur la tête en même temps qu'on touche ses cils, elle « oubliera », et le retrait redeviendra à nouveau partiel.

E. Kandel parvient également à lui apprendre à être plus sensible à certaines perceptions.

Maintenant on touche l'une des branchies de l'animal : l'animal la rétracte doucement.
Immédiatement après, on lui soumet un choc électrique : l'animal se rétracte vivement.
Si on recommence le toucher des branchies, la rétractation sera plus vive et longue : c'est la sensibilisation.
L'animal a associé le toucher des branchies au choc électrique, et donc à une rétraction forte.

Puis, à l'inverse, il l'habitue à ne pas réagir devant les mêmes perceptions.

Si l'on continue à toucher les branchies de l'animal, mais en ne causant plus de choc électrique, l'animal finit par ne plus tenir compte de ce toucher : c'est l'habituation.
L'association entre le toucher des branchies et la rétraction a diminué progressivement, jusqu'à disparaître.

L'observation au microscope électronique confirme le renforcement ou l'affaiblissement des connexions entre les neurones.

Si on observe au microscope électronique les synapses dans chacune des expériences, on vérifie qu'il y a bien eu une modification des vésicules et des récepteurs (à neurotransmetteurs) afin d'augmenter ou diminuer la force de la connexion : l'animal s'est adapté à son environnement.
Par exemple, lors de la sensibilisation, où la force de connexion augmente, on visualise qu'il y a eu augmentation du nombre de vésicules et du nombre de récepteurs.
Et, lors de l'habituation, où la force de connexion diminue, il y a bien eu diminution du nombre de vésicules et du nombre de récepteurs.

Comprendre à chaque instant d'où viennent nos pensées


En jouant au football, à chaque instant je crée des associations nouvelles, comme par exemple entre : mon ami Paul et le  football.

Imaginons que je sois en train de jouer au football un matin.
A chaque instant où je joue, je ressens différentes perceptions : images, touchers, odeurs.
Toutes ces perceptions, étant simultanées, sont donc susceptibles d'être associées par apprentissage associatif.
Par exemple, la perception visuelle « mon équipier Paul » pourra être associée par apprentissage associatif au réseau correspondant à la perception visuelle « ballon de football ».
Notons également qu'il existe un réseau chargé de positionner l'instant présent dans ma vie, et qui est activé à chaque instant.
Ce réseau « le moment présent, relativement à toute ma vie » pourra également être associé, par apprentissage associatif à « Paul » et « ballon de football », ce qui me permettra, dans un mois de dire « j'ai joué au football avec Paul il y a environ un mois ».
Les nouvelles idées vont avoir elles-mêmes des associations avec d'anciennes idées.
Par exemple, par l'intermédiaire de « Paul », avec lequel j'ai passé mes dernières vacances, l'idée de « football » pourra être associée à l'idée de « soleil ».
Nous savons que chaque perception correspond à un réseau de neurones qui est activé.
Mais chacun de ces réseaux est généralement lui-même lié (suite à des apprentissages associatifs antérieurs) à d'autres réseaux, qui, par conséquent sont également activés.
Par exemple, « Paul », peut être associé à d'anciens réseaux, tels que : le déjeuner ensemble d'hier, l'école où nous étions ensemble, son père qui est clown, les dernières vacances ensemble, le soleil.
De même, « football » est associé à des réseaux « anciens », tels que :  « balle, pelouse, championnat, équipe, mes enfants, match ».
C'est la raison pour laquelle un ballon de football pourra me faire penser plus tard à des idées aussi diverses que mon ami Paul, le soleil, ou mes enfants ; et cela pourra déclencher des commandes : aller voir Paul, préparer mes vacances, ou ne pas oublier d'aller chercher les enfants à l'école, etc.

Pourquoi nous sommes capables d'apprendre à conduire sans réfléchir

C'est grâce aux apprentissages répétitif et associatif que, lorsque l'on répète un même ensemble de mouvements successifs, on finit par l'exécuter de manière automatique.
Considérons un animal qui répète plusieurs fois le même ensemble de mouvements successifs, par exemple un chien qui lève la tête, plie ses pattes et bondit, pour saisir une balle.
On sait maintenant que la répétition de cet ensemble de mouvements successifs va produire deux changements : d'abord, par apprentissage de répétition, les connexions se renforcent provisoirement.
Ensuite, par apprentissage associatif, les réseaux correspondant à des mouvements successifs, activés presque en même temps, créent des connexions entre eux (également de manière provisoire).
Plus tard, avec l'apparition d'une mémoire à long terme, ces modifications dans les connexions seront stockées à long terme.
Ainsi, l'activation d'un premier réseau entraîne l'activation d'un second réseau, et ainsi de suite : voilà pourquoi, avec l'habitude, on peut exécuter, de mieux en mieux (grâce aux apprentissages répétitifs et associatifs, les connexions sont plus fortes à chaque répétition), plusieurs séries de mouvements, sans y réfléchir et de manière automatique : cela constitue une mémoire appelée « mémoire procédurale », ou « mémoire implicite », parce que c'est une mémoire du corps et non pas une mémoire « explicite » comme celle des événements et des mots.
Ces capacités d'apprentissage du « corps » sont caractéristiques de la matière vivante, même chez l'animal unicellulaire.
Pour nous, les hommes, on le voit lorsqu'on apprend à nager, à skier, à conduire.
Les successions de gestes sont faites de manière automatique, sans qu'on ait vraiment besoin de réfléchir.
De même, la commande « marcher » nécessite de nombreuses commandes successives automatiques : avancer une patte d'une certaine façon, puis une seconde patte, puis une troisième, etc.
Ainsi, on peut observer que, à la naissance, de petits chatons ont des mouvements mal coordonnés et maladroits ; ils bougent leurs pattes d'abord de manière « brouillon », puis de mieux en mieux, jusqu'à pouvoir se déplacer aisément.
Des termes généraux aussi simples que « voler », « marcher », « manger » impliquent en fait de multiples apprentissages répétitifs et associatifs.

 

[Le cerveau]